Il est possible de définir sept mots-clés qui déterminent l’intervention stratégique résolutive (Perrone & Doumit Naufal, 2019).
1 - Directivité
Dans l’approche stratégique résolutive, l’intervention se fonde sur un principe de directivité dans le sens où le thérapeute assume le fait que son intervention produise un effet sur le système client. L’intervenant endosse donc la responsabilité qui lui incombe dans l’organisation du processus de changement.
2 - Non-neutralité
Bien qu’un certain nombre d’approches thérapeutiques insistent sur le caractère de neutralité du thérapeute, il y a — dans l’approche stratégique — un abandon, au niveau conceptuel, de toute velléité de neutralité. Cette position s’inscrit dans l’héritage des apports de la deuxième cybernétique d’Heinz von Foerster. En effet, puisque la simple présence du thérapeute modifie instantanément la configuration des échanges, du fait qu’il participe lui-même au processus décrit, il serait illusoire de penser pouvoir obtenir une quelconque neutralité. Et le fait de quitter cette position chimérique s’accompagne inévitablement d’une prise de responsabilité, puisqu’il est dorénavant impossible d’attribuer l’entière responsabilité de l’échec de la thérapie au client ; et si cela permet une plus grande implication du thérapeute, une pierre est ajoutée à l’édifice de la rencontre signifiante.
3 - La notion de temporalité
Traditionnellement, nous avons tendance à considérer que le passé configure le présent, c’est la raison pour laquelle la plupart des approches thérapeutiques focalisent leur attention sur la genèse des problèmes, sur les éléments qui — dans une pensée causaliste — expliquent les difficultés du présent ; avec l’idée que le fait de savoir ce qui explique le problème permettra de le traiter dans sa construction présente. Par ailleurs, certaines approches figurent même que c’est précisément la rencontre entre la conscience du sujet et les causes enfouies de ses maux qui a un effet thérapeutique en soit, par une opération que les plus croyants qualifieraient du Saint-Esprit.
Le postulat développé ici peut paraître surprenant et, d’une certaine manière, contre-intuitif. Pourtant, c’est en saisissant ses diverses implications que sa puissance se révèle pour le domaine qui nous occupe, et ce dernier pourrait se formuler ainsi : c’est l’état du présent qui configure et connote le passé. Par conséquent, le changement des représentations dans le présent a un effet rétroactif sur la connotation et la perception des évènements du passé, pouvant ainsi leur donner une signification complètement différente et transfigurer leur apparence.
Il suffit d’imaginer l’effet que peut avoir la révélation de l’infidélité d’un conjoint sur la perception du passé de l’autre pour se représenter ce phénomène. De la même manière, une information ou une expérience significative dans le présent peut modifier et colorer positivement les évènements du passé. Pour donner un exemple dans la culture populaire, dans la saga de JK Rowling, le professeur Séverus Snape est présenté durant les six premiers tomes des aventures d’Harry Potter comme un farouche antagoniste, pour se révéler être animé de toutes autres intentions grâce à une information divulguée dans le septième et dernier tome, permettant ainsi à chaque lecteur de revisiter sous un angle beaucoup plus positif tous les comportements de ce protagoniste jusqu’alors.
Il est également possible de dire que le futur conditionne le présent dans la mesure où la représentation de l’avenir apporte une information ou un renseignement sur ce que la situation actuelle pourrait devenir.
4 - Brièveté
Dans la continuité de cette réflexion sur la temporalité, il est également important d’émettre quelques précisions sur celle du processus thérapeutique. En quelques mots, alors que l’on pourrait croire que le temps de traitement est en corrélation avec les résultats, il n’en serait en définitive probablement rien, c’est en tout cas le postulat sur lequel s’appuie l’approche stratégique, et plus généralement toutes les formes de thérapies brèves. Il suffit de voir la rapidité des résultats thérapeutiques chez les patients de Milton Erickson pour s’en convaincre.
En d’autres termes, un processus étendu dans le temps n’est pas déterminant pour obtenir de bons résultats et un bon résultat peut être obtenu par l’intermédiaire d’un court processus ; cette constatation vient donc remettre en cause l’idée que les résultats pourraient être liés à la longueur du processus thérapeutique.
5 & 6 - Résolvabilité et fonctionnalité
Le principe de résolvabilité est au processus thérapeutique ce que le GPS est à l’automobiliste qui souhaite arriver à destination le plus efficacement possible. Ce principe s’appuie sur l’idée qu’il incombe au thérapeute de baliser le parcours thérapeutique de manière à ce que son client emprunte des voies porteuses d’aboutissements à travers un échange intelligible entre les deux protagonistes.
Partant de l’idée que chaque famille est inscrite dans un cycle vital dont certaines étapes ont un caractère général (Caplan, 1964), et d’autres spécifiques, comme les étapes liées au handicap d’un des membres du système familial (Merucci, 1999), et que chaque famille doit d’adapter aux crises provoquées par le passage d’un état à un autre ; il est essentiel de toujours travailler dans le sens de conserver et soutenir la capacité familiale à concevoir des solutions adaptées pour accompagner sa croissance.
C’est cette capacité d’adaptation de chaque entité qui est définie comme la capacité fonctionnelle, dans le sens où le caractère fonctionnel d’un système est sa faculté à se réinventer au fil des évènements qui perturbent sa stabilité. Il est donc essentiel de conserver cette qualité à travers l’intégralité du processus thérapeutique avec la préoccupation, toujours présente, de ne pas devenir en tant que thérapeute un élément indispensable à l’équilibre familial.
7 - Prévention
« Cette notion évoque l’action d’anticiper et d’éviter l’émergence d’un trouble, d’une maladie ou d’un dysfonctionnement sévère dans une organisation vitale ou formelle. » (Perrone & Doumit Naufal, 2019, p.109). L’action de thérapeute stratégique s’inscrit dans différents niveaux du processus de prévention. Il est possible de définir 4 niveaux de prévention :
Niveau 1 : La prévention primaire vise à réduire la probabilité d’apparition de symptômes et de maladies. Irène Grosjean, naturopathe depuis plus de 60 ans, illustre parfaitement ce niveau de prévention dans chacune de ses allocutions par la métaphore suivante : on ne combat pas le froid, on ajoute de la chaleur, on ne combat pas l’obscurité, on ajoute de la lumière, on ne combat pas la maladie : on ajoute de la santé.
Niveau 2 : la prévention secondaire vise à la réduction de la symptomatologie détectée précocement, afin d’éviter que ces symptômes s’associent en syndrome et construisent la maladie ou le dysfonctionnement à venir. Il s’agit donc de détecter les signes précoces dans l’idée que l’intervention pourra alors viser à réduire leur développement et à endiguer leurs conséquences.
Niveau 3 : La prévention tertiaire vise à traiter les conséquences d’un dysfonctionnement ou d’une maladie déclarée. Pour simplifier, nous pouvons dire que ce niveau vise une action curative.
Niveau 4 : La prévention quaternaire vise à maintenir le plus longtemps possible la qualité de vie de l’entité dont le fonctionnement est si gravement perturbé que les possibilités curatives sont écartées. Il s’agit des soins palliatifs dans la médecine somatique.
L’intervention du thérapeute stratégique, aussi appelé « agent de changement » par Reynado Perrone et Yara Doumit Naufal (2019), peut s’effectuer sur chacun des 4 niveaux de prévention cités en amont.
Si vous souhaitez vous procurer le livre dans lequel les auteurs explosent ces concepts :
Comments