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La « question miracle » en thérapie brève centrée solutions : fondements, usages et perspectives



Introduction

La question miracle est sans doute l’un des outils les plus emblématiques de la thérapie brève centrée sur les solutions (TBCS). Créée par Steve de Shazer et Insoo Kim Berg, cette technique simple en apparence invite le client à se projeter dans un futur où ses problèmes auraient disparu, non pas grâce à une exploration analytique du passé ou à un processus de guérison lent, mais grâce à un événement fictif – un miracle – survenu pendant son sommeil. Cette proposition ouvre un espace de narration et de projection vers des solutions, en court-circuitant la spirale de la plainte et en mobilisant les ressources du client pour construire un avenir souhaité.


Apparue dans les années 1980, la TBCS se distingue des approches traditionnelles par sa posture pragmatique : plutôt que de chercher à comprendre pourquoi un problème existe, elle s’attache à débusquer comment les choses pourraient aller mieux. Elle s’ancre dans le paradigme constructiviste, dans une épistémologie systémique, et dans l’héritage ericksonien du langage suggestif et de la transe conversationnelle.


1. Origines et fondements théoriques

La question miracle est née au Brief Family Therapy Center de Milwaukee, un laboratoire de pratique fondé à la croisée de plusieurs influences. Tout d’abord, Milton Erickson, psychiatre et hypnothérapeute, avait déjà introduit l’idée d’amener ses clients à visualiser un futur différent, parfois via des métaphores comme la boule de cristal. Il utilisait des suggestions indirectes et des récits pour provoquer un effet thérapeutique par la décentration temporelle et la stimulation de l’imagination.


De Shazer s’inspire de cette logique en retirant l’hypnose formelle pour proposer une induction légère par le langage : la transe conversationnelle. Le thérapeute installe un rythme, une atmosphère propice à la rêverie, et introduit une question étrange, légèrement décalée, qui fait basculer le cadre de référence du client. Il ne s’agit plus de parler du problème, mais d’un monde dans lequel il n’existe plus.


La TBCS est aussi profondément constructiviste : elle considère que la réalité n’est pas donnée, mais co-construite à travers les échanges et les récits. Le langage n’est pas un outil neutre de description, il est performatif : il produit des effets, il structure notre expérience du monde. De Shazer s’appuie sur la pensée de Wittgenstein, notamment ses concepts de jeux de langage et formes de vie. Ce philosophe soulignait que nos manières de parler forment des mondes différents. Ainsi, parler de solutions, c’est déjà habiter un autre monde que celui structuré par la plainte.


Dans cette perspective, la question miracle ne vise pas à expliquer ou à analyser, mais à faire émerger une autre réalité narrative, où le client devient l’auteur d’un récit de changement.


2. Les cinq composantes de la question miracle

Bien qu’il soit courant de parler de la question miracle, il s’agit en fait d’un dispositif complet, dont la puissance tient à la combinaison de plusieurs éléments :

  1. Un changement extraordinaire : le thérapeute postule qu’un événement improbable – un « miracle » – survient pendant le sommeil du client. Ce changement n’est ni progressif, ni explicable rationnellement. Il rompt avec l’idée d’un changement lent et laborieux.

  2. La disparition du problème : le miracle a pour effet de faire totalement disparaître les problèmes qui ont motivé la consultation. Il ne s’agit pas d’un mieux partiel, mais d’une résolution totale.

  3. Une survenue inconsciente : le client ne sait pas qu’un miracle a eu lieu, car il dormait. Cela permet de contourner les résistances logiques ou défensives : ce n’est pas voulu, cela s’est produit malgré lui.

  4. Des signes observables au réveil : le client est invité à découvrir, au matin, les premiers indices que quelque chose a changé. Cela permet d’ancrer le miracle dans la réalité sensible, et non dans l’abstraction.

  5. Une description détaillée : le thérapeute demande au client de décrire précisément les manifestations du changement : comment il se sent, ce qu’il fait, comment les autres réagissent. Ce processus de narration permet de construire une image tangible de la solution.


Ces composantes permettent de passer du langage du problème à celui de la solution, en activant les dimensions sensorielles, émotionnelles et relationnelles. Le client cesse de parler de ce qui ne va pas pour évoquer ce qui irait bien– et comment cela se manifesterait concrètement.


3. Un exemple clinique

Prenons le cas de Lucie, une femme de 37 ans, venue consulter pour une anxiété chronique liée à son travail. Lors de la séance, le thérapeute lui propose :

« Imaginons qu’un miracle se produise cette nuit. Vous dormez profondément, et pendant ce temps, un miracle se produit : tous les problèmes qui vous amènent ici disparaissent. Mais comme vous dormiez, vous ne savez pas que le miracle a eu lieu. Au réveil, quels seraient les premiers petits signes qui vous feraient dire que quelque chose a changé ? »

Lucie réfléchit, hésite, puis dit : « Je pense que je ne me réveillerais pas avec cette boule au ventre. Je n’ouvrirais pas mes mails en redoutant ce que je vais trouver. »

Le thérapeute l’invite à préciser : « Que feriez-vous alors, si vous n’aviez plus cette boule au ventre ? »

Lucie : « Je prendrais le temps de déjeuner avec mes enfants au lieu de stresser en boucle. »

Et ainsi de suite. Le récit se construit. Lucie se découvre capable d’imaginer une version d’elle-même plus sereine. Elle entrevoit des leviers : ralentir, déléguer, remettre du jeu dans ses routines. La question miracle a déclenché un processus d’auto-observation et de repositionnement.


4. Efficacité clinique et apports empiriques

La TBCS a longtemps souffert d’un déficit de validation scientifique, sa popularité dépassant sa documentation empirique. Mais depuis les années 2010, plusieurs méta-analyses ont montré des résultats cliniques comparables, voire supérieurs, à d’autres approches brèves dans certains contextes.


La question miracle en tant que technique isolée est difficile à évaluer, car elle est souvent intégrée à l’ensemble du processus TBCS. Toutefois, les praticiens rapportent régulièrement qu’elle constitue un moment clé, un turning pointdans la séance. Elle permet de révéler les objectifs implicites, les ressources disponibles et les premiers petits pas possibles.


Cependant, cette technique nécessite une adaptation fine : posée trop tôt ou maladroitement, elle peut être perçue comme intrusive ou décalée. Avec des personnes très déprimées ou traumatisées, elle peut échouer à mobiliser l’imagination. Dans ce cas, le thérapeute peut reformuler : « Et si les choses allaient juste un peu mieux demain, que remarqueriez-vous ? »



Références

Berg, I. K., & De Jong, P. (1996). Solution-building conversations: Co-constructing a sense of competence with clients. Families in Society, 77(6), 376–391.

Cabié, M.-C. (2005). La question miracle : Enjeux et effets d’une fiction dans les thérapies brèves. Psychotropes, 3, 209–221.

de Shazer, S. (1985). Keys to solution in brief therapy. W. W. Norton & Company.

de Shazer, S. (1996). Clues: Investigating solutions in brief therapy. W. W. Norton & Company.

de Shazer, S. (2001). Language games in therapy: Wittgenstein, Wittgenstein, and therapy. Journal of Marital and Family Therapy, 27(3), 341–350.

Franklin, C., Zhang, A., Froerer, A., & Johnson, S. (2017). Solution focused brief therapy: A systematic review and meta-summary of process research. Journal of Marital and Family Therapy, 43(1), 16–30.

Kayrouz, R., & Hansen, L. (2020). Culturally adapting the miracle question: Guidelines for practitioners. International Journal of Solution-Focused Practices, 8(1), 34–42.

Searight, H. R. (2010). Solution-focused brief therapy with long-term care residents. Clinical Gerontologist, 33(1), 48–57.

 
 
 

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